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Quand l’innovation est au service de la tradition

Design contemporain: quand l’innovation est au service de la tradition 

Le mariage du design et de l’artisanat ne semble pas aller de soi. Pendant longtemps, il existait une scission entre ces deux domaines pourtant voisins. 

Le design moderne du XXème siècle  était centré sur la production industrielle standardisée avec des créations uniformes qui laissaient peu de place à la singularité et l’esthétisme que peut apporter l’artisanat. Le design contemporain, soucieux d’innover en utilisant des techniques de pointe, met davantage à l’honneur le savoir-faire traditionnel et le retour à des matériaux locaux et naturels, ce qui fait que cette séparation tend à s’estomper. 

Dans un monde rapide où la démographie explose, le design moderne a répondu aux exigences de production et d’efficacité du système capitaliste en utilisant des matériaux comme le plastique, les métaux chromés ou encore les fibres synthétiques et en valorisant la fonctionnalité et la place de la machine.

Les défis du XXIème siècle avec la crise écologique et l’épuisement des énergies fossiles ont amené les designers à repenser leur rapport à la production en remettant au centre l’esthétique et la dimension artisanale dans la conception des objets. 

Les designers contemporains ne cherchent plus seulement à produire, mais à créer des objets  qui ont une âme et une singularité.  

 Mais la transition vers un développement durable est toujours en cours: le design ne peut pas prétendre à une reconversion écologique totale puisque de nombreux matériaux polluants sont toujours utilisés. Tandis que plus personne ne peut ignorer la problématique environnementale, le design contemporain brandit l’écologie comme argument de vente auprès de consommateurs plus avertis et il est parfois difficile de savoir si ce souci écologique est réel ou s’il s’agit plutôt de “greenwashing”, technique commerciale qui consiste à promouvoir une image de marque éco-responsable, sans que celui-ci fasse réellement d’efforts pour réduire son impact environnemental. 

Comment l’artisanat répond-il au besoin des designers de renouer avec une production plus authentique et une quête de sens plus affirmée ?

Le design éthique et ses débuts au XXème siècle :

Au XXIème siècle, le design doit évoluer avec les enjeux et les grandes problématiques de notre époque et commencer à intégrer des préoccupations sociales, environnementales et culturelles dans son processus de création d’objets. La crise écologique oblige les designers à repenser leur modèle de fabrication et leur rapport à l’industrie. 

Suite aux premières crises pétrolières dans les années 70 et aux premiers rapports sur les limites de la croissance, le design contemporain développe progressivement une conscience écologique en intégrant des matériaux plus nobles et moins polluants dans la création d’objets. 

Enzo Mari, designer italien précurseur du design contemporain pourrait incarner à lui seul une philosophie du design qui tente d’allier fonctionnalité, esthétisme et simplicité. Représentant de l’âge d’or du design italien, il commence sa carrière dans les années 50 et propose un certain nombre de principes qui doivent guider le designer au quotidien. 

A la question « Qu’est-ce qu’un bon design ? », Mari répond : « Bon signifie durable, accessible, fonctionnel, bien fait, pertinent émotionnellement, résistant, socialement bénéfique, beau, ergonomique et accessible financièrement. ». Cet artiste utopiste avait soulevé un scandale en distribuant un petit livre, lors d’une de ses expositions à Milan en 1974, où il a partagé des croquis pour permettre au public de réaliser lui-même sa collection de mobilier (chaises, bureaux, tables). Profondément éthique et révolutionnaire dans sa vision du design, il considérait qu’il ne devait pas y avoir d’écart entre les industriels et le grand public. Tout consommateur peut devenir producteur de son mobilier et parvenir à se passer des différents acteurs de l’industrie et de la distribution (usines et magasins). D’autres designers du XXème siècle comme Victor Papanek, designer austro-hongrois ont défendu un design responsable et mis en garde contre les produits industriels jugés peu sûrs voire inutiles. 

Des décennies plus tard, dans les années 2000, le militantisme de ces designers visionnaires est enfin reconnu pour leur avant-gardisme:  Cette vision en apparence complètement utopiste recouvre aujourd’hui toute sa pertinence puisque le design contemporain promeut une production soucieuse de l’environnement et de l’intérêt des consommateurs. 

L’artisanat, une alternative écologique et responsable pour le design

On est tentés de cantonner l’artisanat à un savoir-faire ancestral qui n’évolue pas, à un héritage figé du passé.  Mais dans ce moment charnière de l’histoire où la production de masse montre ses limites et ses dangers, revenir à des techniques authentiques et  respectueuses de l’environnement apparaît comme une évolution nécessaire et inévitable. 

En réalité, l’artisanat n’est pas simplement une survivance du passé à préserver. En s’opposant à la fabrication industrielle, les métiers de l’artisanat sont au contraire des métiers innovants puisque profondément écologiques: les matériaux utilisés (comme le bois, l’argile, la céramique ou la pierre) sont recyclables, l’approvisionnement se fait en circuit-court,  réduisant les distances de transport, la production est à petite échelle. 

Les designers, conscients du potentiel de créativité et d’innovation de l’artisanat, lui redonnent un nouveau souffle en renforçant sa viabilité économique et son rayonnement culturel. Philippe Bouquillon, professeur d’économie à l’université Sorbonne Paris Nord, donne l’exemple de l’Inde où  les designers occupent une position stratégique au début de la filière artisanale. En travaillant avec des organisations qui commandent des produits aux artisans, ils ont un impact sur les techniques de production, les aspects formels des produits, et par extension, sur l’organisation du travail et la rémunération des artisans. C’est ainsi que le design permet de réinventer les stratégies de commercialisation de l’artisanat. 

Le design avec l’imprimante 3D: La technologie au service de la préservation du patrimoine 

L’évolution technologique du design avec l’invention de l’imprimante 3D pourrait apparaître comme une menace pour les métiers manuels et pour les artisans. En effet, une imprimante qui peut créer des objets complexes comme des chaussures, des chaises ou des lampes semble à première vue représenter une concurrence effrayante aux métiers artisanaux.

Pourtant,  loin de remplacer les savoir-faire traditionnels, les outils et méthodes modernes permettent au contraire de les préserver et de les améliorer: les techniques de fabrication numérique telles que l’impression 3D ou le découpage au laser ont ouvert de nouveaux champs de possibilités en permettant aux artisans d’expérimenter des formes que la main seule ne peut réaliser. L’imprimante 3D révolutionne  la conception d’objets en fusionnant dans une même création innovation industrielle et artisanat, réconciliant ainsi ces deux domaines. De nombreux artisans voient la 3D comme un moyen de parfaire leur création en commençant d’abord leurs dessins à main levée puis en modélisant le dessin au niveau des courbes et des volumes. Les formes peuvent être testées et ajustées avant même la réalisation de l’objet. Les technologies numériques offrent aux artisans la possibilité d’anticiper chaque étape de leur production avec une grande précision et de visualiser le design final avant sa production. 

L’imprimante 3D aide ainsi à préserver la complexité de ces savoir-faire anciens, en capturant des détails et des processus qui pourraient se perdre avec le temps. Elle est donc un précieux allié des artisans et un atout de taille dans leur processus créatif. 

Mais elle présente aussi un autre avantage: en modernisant la technique de création, elle renouvelle la relation des artisans avec leurs clients puisque ces derniers peuvent visualiser l’objet voulu et suivre les étapes de production, devenant ainsi des co-producteurs de l’objet commandé. L’artisanat n’est plus cantonné à sa nature traditionnelle et à son processus plutôt lent. Les artisans peuvent se positionner sur le marché grâce à la précision et à la rapidité de la 3D, qui leur permet de dépasser les limitations du travail à la main et d’être plus flexibles et accessibles. Ainsi, le design contemporain ou post-industriel, avec son utilisation de technologies avancées, redonne toute sa place à l’approche artisanale, en créant des objets uniques, personnalisés et durables.

A l’heure où la société de consommation montre ses limites écologiques et sociales, le design contemporain est sommé d’évoluer et de réinventer son rapport aux objets et à la création, en intégrant dans son processus de production des approches plus éthiques. La relation renouvelée entre design et artisanat permet de répondre aux problématiques écologiques actuelles mais les défis restent nombreux: la valorisation des ressources locales et des techniques ancestrales a aussi un coût qui ne va pas dans le sens des circuits de distribution classiques qui valorisent les grands volumes et les marges importantes. Pour que le design contemporain devienne véritablement éthique, une réflexion doit être engagée sur l’évolution du modèle économique et des politiques publiques afin de permettre la viabilité des savoir-faire traditionnels.  Peut-être est-ce la direction que le design empruntera progressivement ? Les designers contemporains deviendront possiblement  des médiateurs culturels, tisserands d’un lien entre passé et futur, entre innovation et conservation des héritages traditionnels, transcendant ainsi ce vieil antagonisme entre design et artisanat.

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